« Bonjour, Gnagna LAM »

Classique, normal à la limite, n’est ce pas, de me présenter par mes prénom et nom, que mon père m’a donnés en grande pompe, devant parents et amis, au huitième jour de ma vie. Et pourtant, dans certaines salles de réunion de Dakar, ces deux mots qui définissent de manière si significative mon identité, ne semblent pas suffire à nombre d’interlocuteurs de la gent masculine.
« Madame, ou mademoiselle ? »
lui demanda-t-on
« Madame, ou mademoiselle ? » Question à priori innocente. A la limite de la flatterie, en vertu de nos codes sociaux. Interrogation taquine, se rapprochant dangereusement du flirt (au sens anglophone du terme), et pourtant, toujours acceptée dans les environnements de travail à dominance masculine. Pourquoi, vous demanderiez-vous, suis-je si sensible à la question ? Parce qu’à mes yeux, et pour un nombre important de femmes dans le milieu professionnel, dont je me permets, à tort surement, de porter la parole, elle représente l’arbre qui cache une dense forêt, hautement problématique.
Naturellement, l’instinct de base voudrait que la raison principale de cet inconfort s’articule comme suit : « pourquoi insister sur mon statut marital en tant que femme, alors qu’une telle question ne serait jamais posée à un homme ? » A mon avis, ce n’est pas la partie la plus critique de la réflexion. Parce que ces remarques se font dans le milieu professionnel, parce qu’elles visent principalement des jeunes femmes, jeunes professionnelles, parce qu’elles n’épargnent pas non plus celles étant arrivées « précocement » selon les « standards professionnels » à des positions de responsabilité, je suis convaincue que ces remarques sont liées à des comportements, des idées reçues, des suppositions et des jugements précoces visant spécifiquement les femmes dans le milieu professionnel et se dressant en mur ralentisseur dans leur évolution, ou dans le meilleur dans cas, dans leur épanouissement professionnel.
Fermez vos yeux et imaginez une grande société, du secteur public ou du secteur privé. Une de celles qui génère un vertigineux nombre de milliards de chiffre d’affaires par année, emploie plusieurs centaines de sénégalais, et contribue de manière significative aux recettes fiscales pour notre pays. Vous êtes invité(e) à en rencontrer le leader. Lors de votre entrevue, vous avez une fascinante conversation qui aboutit sur une offre de collaboration. Vous avez toujours voulu travailler pour cette société et êtes ravi(e) de rejoindre l’équipe. Maintenant, ouvrez les yeux et répondez honnêtement à la question suivante : cette entreprise était-elle dirigée par un homme, ou par une femme ?
Je le vois d’ici : votre sourire gêné, votre mine pensive et votre expression déboussolée. J’espère que ce petit exercice suscitera chez vous, le même type de réflexion que je poursuis, actuellement ; pas parce que je suis plus ouverte d’esprit, plus évoluée dans ma définition et mon imagination de l’entreprise, dans mon expertise managériale et ma connaissance du milieu professionnel, mais uniquement parce que mon expérience professionnelle personnelle a fait que je me suis retrouvée dans les escarpins de cette jeune femme que l’on définit primairement par son statut marital, qui voit sa performance au travail scrutée via le prise des noms de famille présents sur sa carte de visite, son engagement évalué à la hauteur du nombre et du timing de ses grossesses, sa capacité à allier vie professionnelle et vie familiale réduite à l’heure à laquelle elle part du bureau, son habilité à gérer une équipe et à affirmer son leadership devenir une lutte d’affirmation de sa pertinence technique et professionnelle. Oui, nous avons tendance à être interrompues en milieu d’argumentaire pendant les réunions, nos décisions sont plus souvent remises en question, et nous devons fournir plus d’efforts pour tenir nos équipes, plus souvent que pas récalcitrantes à l’idée d’être placées sous la responsabilité d’une femme ou pas. Et pourtant, ce n’est pas pour moi, le plus difficile : souvent, l’ultime peau de banane est judicieusement posée sur le chemin de ces femmes en position de responsabilité, tenez-vous bien, par d’autres femmes.

Le mal est profond, vous seriez surpris à quel point. Comme souvent, j’ai fait lire ce billet par un ami qui m’a en grande partie inspirée dans ma réflexion. Il m’interpelait justement sur mon expérience professionnelle, en tant que femme et maman, et m’indiquait à quel point il trouvait naturel le fait qu’une équipe ait à sa tête une femme, tout en soulignant le caractère pourtant difficile de cette position dans les entreprises sénégalaises, particulièrement dans le secteur dans lequel nous évoluons, et où la dominance masculine à flagrante. Même lui, mon jeune ami ouvert d’esprit, profondément enraciné dans les valeurs afro-musulmanes, mesuré et déterminé, n’a pas pu s’empêcher d’imaginer en ce dirigeant d’entreprise, un homme.
Que dis-je ; même la langue française, dans sa tendance à user du masculin pour désigner l’impersonnel…
Bien reçu et merci du partage !
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